Il était une fois un chat qui s’était fait adopter. Dûment tatoué, appelé Robin, il aurait dû vivre sa vie de beau gros matou tigré en toute quiétude.
Mais il n’y aurait pas d’histoire si c’était le cas…

Pour moi, elle débute un lundi par la disparition de Barrfind et Korrigan dans la nuit. Deux d’un coup, ça fait beaucoup…
Dans les jardins enclos de murs, les voix des chats résonnent étrangement. Il est difficile de savoir où ils se trouvent. C’est là que l’expérience joue : la connaissance des jardins d’où ils ne savent pas sortir et celle des habitants des maisons adjacentes, habitués à voir débarquer la voisine en quête de ses minets.
Et de un : je récupère Barrfind mardi à minuit passé dans une maison plus haut dans la rue où habitent des étudiants. On l’avait vu rentrer et il s’était planqué dans la cave… Classique. Déposé sur le mur, il miaule à qui mieux mieux pour répondre à son copain qui est toujours coincé je ne sais où… Mais il est très tard et je ne peux pas ameuter tout le quartier sous prétexte de délivrer Korrigan.
Le lendemain en journée, je n’entends plus rien. Je décide donc de faire le tour du quartier pour l’appeler de différents jardinets et localiser le fugueur. Rien.
Le soir, Philippe et moi décidons d’élargir le champ de nos investigations : autres maisons plus éloignées et enquête dans la rue. C’est ainsi qu’un voisin me dit avoir vu un chat tigré, dans la nuit de lundi à mardi, qui courrait en rue comme s’il cherchait un endroit où rentrer. Il me promet de venir sonner s’il le revoit. En bons nocturnes, nous savons l’heure des félins.
Rentrant, malgré tout, bredouilles à la maison en ce mercredi soir, un des habitants de la rue que j’ai prévenu plus tôt vient à notre rencontre. Korrigan est dans sa cave. Mais comment est-il tombé dans cette cour ? Trois mètres carrés en pointe, clos par les maisons et cinquante centimètre d’un mur de trois mètres de haut. Le tableau est d’une beauté sinistre : une carcasse de vélo a échoué là et un arbre tout frêle y cherche la lumière. Korrigan se terre. Et s’il ne vient pas immédiatement, les retrouvailles se scellent sur mes épaules en tétant mon oreille… gauche.
Tout le monde rentre à la maison, ce sont les retrouvailles et le tumulte ordinaire du va-et-vient des chiens et des chats au grand complet me semble bien doux…

Une fois encore, l’histoire aurait dû s’arrêter là. C’était sans compter sur l’opiniâtreté de mon autre voisin.
Vendredi vingt-trois heures trente, je m’apprête à aller me coucher à la vieille d’un week-end de travail. J’entends frapper au carreau, puis on sonne :
– On a vu votre chat.
– Ce n’est pas mon chat, mais j’arrive !
Et de m’armer du capte félin irrésistible pour celui qui faisait les poubelles : un bol avec des croquettes sonnantes et trébuchantes. Et le gros minet d’accourir, un peu inquiet malgré tout. Et moi assise sur le trottoir à amadouer le matou. J’appelle Philippe à la rescousse avec le panier à chat. Le matou ne fait pas trop de manière, mais se met, comme tous ses congénères, à hurler tandis qu’on le transporte.
Arrivés à la maison, les chiens sont envahissant à la hauteur de leur curiosité. On décide donc de descendre le rescapé de la rue en bas, dans la chambre, où il sera plus en paix. Et de lui apporter, bien sûr, de quoi se sustenter.
Il est minuit trente et une courte nuit m’attend, ponctuée de ronrons reconnaissants à côté de mon oreiller.
Le samedi, j’appelle les associations animales pour signaler ma trouvaille : une si belle et gentille grosse bête devrait vite retrouver son maître. Samedi soir, plus de gros chat… Je me couche la mort dans l’âme et je vais au travail le lendemain. Dix-neuf heures en deux jours en n’ayant presque jamais l’occasion de m’asseoir, mais j’aime ce que je fais : je m’occupe de gens vivant la précarité des chats égarés.
Le soir, toujours pas de matou. Je surmonte ma fatigue, j’imprime des petits avis de disparition expliquant brièvement mes circonstances : j’ai trouvé un chat que je veux à qui je veux rendre son chez lui.
Et qui dort sur mes jambes lorsque je me réveille le lundi ? Le gros matou, encore plus câlin. C’est malin… Bon, je dois aller au travail.
Le soir, je prends une photo de celui que j’ai décidé d’appeler Orphée, en attendant. J’avais un « o » qui me tournait dans la tête pour son nom… Mais il y en a des noms avec des « o ». Orphée lui convient et il me parle beaucoup quand je le prononce.
J’envoie la photo sur la toile et le voilà donc dûment signalé : il n’y a plus qu’à attendre. Bizarre quand même que personne ne le recherche sur les sites réservés aux chats perdus.
La semaine avance et je considère avec inquiétude le gros ventre d’Orphée. Et si ce n’était pas un mâle… Mercredi, course jusque chez mon vétérinaire : c’en est bien un, et, en plus, il est tatoué. Me voilà repartie dans l’espoir de le rendre à qui de droit. Le jeudi, je poste son tatouage (une lettre effacée avait échappé au vétérinaire, mais je l’avais bien devinée) aux associations de protection animale. Et le vendredi, je reçois une copie de la fiche de la propriétaire. Je l’appelle et une musique sans message résonne. Cela ne me dit rien qui vaille, d’autant plus que l’adresse mentionnée est à une dizaine de kilomètres de chez moi… Je téléphone alors à la fondation Prince Laurent et j’apprends que la personne qui a adopté « Robin » ne s’est plus manifestée depuis des années, après avoir abandonné deux autres animaux (ce qui est interdit lorsqu’on adopte un animal dans un refuge).
Mes rêves de retrouvailles s’effondrent. Il est clair que la personne, voire les personnes, qui a ensuite recueilli « Robin » n’a jamais pris la peine de le déclarer. D’ailleurs, en rue, aucune affiche de chat perdu n’est apparue après une semaine.

Une décision s’impose… tout comme s’est imposée l’impossibilité de rendre Orphée à la rue ou de le déposer dans un refuge. Quelle chance aurait un matou d’au moins six ans à se faire adopter à la veille des grands abandons des vacances. Et, avec lui, neuf chats, ça commence à faire vraiment beaucoup.
Vendredi soir, j’appelle le vétérinaire, et, de commun accord, pour parer au plus pressé, nous décidons de faire castrer Korrigan. En effet, c’est plus simple et moins onéreux que les deux filles.
Le sort de Korrigan est scellé.
Et Orphée de récidiver une fugue, vendredi soir. Il est tombé dans le jardin qui jouxte le mien et je le récupère dimanche au fond d’un kot. Rituellement déjà, il se jette sur les croquettes et me noie de paroles de chats et de câlins…

En ce mardi, j’ai récupéré un Korrigan en pleine forme.
Orphée semble avoir pris ses habitudes. S’il ne se risque toujours pas à monter à l’étage où sont les monstres de chiens, il sort la nuit pour rentrer au petit matin.

Pour sauver un chat qui n’était pas le mien, j’ai fait l’impasse sur mon désir de bébés chats. Mais comme le disait si bien une amie : Orphée est là, c’est une réalité, les petits, pas…


J’ai oublié de raconter pourquoi Orphée n’a pas retrouvé son nom d’origine: Robin.
D’abord, il répondait tout à fait bien à ce nouveau nom, c’est déjà signe qu’il lui parlait.
Ensuite, j’ai posé la question de quel nom finalement lui donner à Lucas, mon voisin de douze ans.
Il
a réfléchi puis m’a dit qu’il imaginait qu’il aurait pu être séparé
tout petit de ses parents qui lui avaient donné un nom. Il aurait été
élevé par d’autres personnes qui lui auraient donné un autre nom.
Après, il aurait retrouvé ses parents qui voudraient l’appeler du nom
qu’ils lui avaient donné, mais qui n’avait pas été le sien. Et de
conclure « et bien ça serait déjà tellement compliqué dans ma tête que
je ne voudrais pas qu’on me change de nom pour l’ancien ».
Et Robin devint vraiment Orphée…