Cela faisait quelques jours que mes poissons semblaient
éprouver des difficultés à respirer. Des cerises étaient tombées en masse dans
leur étang et malgré toutes celles que j’avais ramassées d’autres continuaient
à pourrir au fond du bassin.

Lundi soir, après une journée bien remplie et caniculaire,
je vais voir mon jardin et mon bassin comme toujours après le souper. Et là,
vision d’horreur, ma belle garde carpe flotte sur le côté. Je crie à mon mari
qu’elle est morte. Mais non, elle respire encore… à peine.

Ni une ni deux: on attrape une bassine et j’y mets de l’eau
avec le tuyau. Je prélève quand même un peu d’eau du bassin pour éviter un choc
thermique et je prends ma belle carpe à l’agonie pour l’y poser…

Une décision s’impose: vider et nettoyer l’étang. Les autres
poissons ne vont guère mieux, même s’ils sont moins mal en point, tous happent
l’air à la surface. Il est vingt et une heure !

Nous sortons donc le tuyau qui normalement sert, après
filtrage de l’eau, à la remettre dans le bassin, mais cela coule très (trop)
lentement. Pendant que l’un s’affaire à écoper au seau pour pallier à la
lenteur de la pompe encrassée, l’autre tient la carpe dans ses mains pour lui
donner plus de confort de respiration. Cette phase là a bien duré une demi
heure! Mais ma belle a été ranimée et s’est remise droite d’elle-même pour
finir par râler quand on la touchait: elle allait mieux!

Bon, y avait plus qu’à… rentrer dans le bassin pour
capturer les autres bubulles! Devinez qui s’y est collée (comme d’hab!)? Bon,
fi des bottes en caoutchouc, je retrousse mon pantalon et, un pied sur le bord,
je mets l’autre à l’eau… Sauf que le fond est couvert de vase et que je
glisse sans pouvoir me retenir, au risque de faire un grand écart involontaire
(c’est un de ces moments où on se trouve très en forme finalement!). Rattrapée
de justesse par Philippe, je dépose l’autre pied et tente de me stabiliser, ce
qui n’est pas une mince affaire. Il récupère son nénuphar chéri (“au moins
c’est une plante qu’il ne faut pas arroser pour qu’elle fleurisse”, m’avait-il
dit peu auparavant) et va me chercher la grande bassine que nous remplissons
également d’eau fraîche et de la marre. Le sauvetage des autres poissons
commence (trente quatre en tout!), entrecoupé d’écopage au seau pour accélérer
le mouvement.

Le fond de l’étang est vraiment très sale et nous décidons
d’employer les grands moyens: le vieux karsher que j’ai récupéré. Cela me
vaudra le commentaire de mon gentil voisin qui dort (enfin essaie!) avec vue
sur notre jardin: “Ca on a entendu que tu changeais l’eau des
poissons, c’était quoi le bruit d’aspirateur ? » . Ouf, il est
vingt-deux heures, et l’on termine de nettoyer le fond, entre karsher, brosse
dure, huile de coude et boîte en plastic, pour en finir avec de vieux essuies
pour ramasser le fin fond du merdier! Entretemps, Philippe a nettoyé les
éléments filtrants de la pompe et l’on peut (enfin!) remettre l’eau dans le
bassin.

Pendant ce temps, la grande carpe a retrouvé presque toute
sa vivacité et tourne en rond dans sa petite bassine tandis que les autres
poissons s’impatientent dans la grande. Philippe démonte la pompe pour la
nettoyer et après avoir été remontée et avoir reçu quelques claques
persuasives, elle daigne se remettre en route.

On remet le nénuphar en place et bien sûr les poissons. Et
quand tout est terminé… il est passé vingt-trois heures.

Mais ce n’est pas sans émotion que j’admire ma grande carpe
nager comme un poisson dans l’eau propre.

Et, tant qu’à faire, puisque ça fait quatre années que je
l’admire, qu’elle a échappé maintes fois à de nombreux dangers (je l’ai même
sauvée des griffes de Desdémone alors qu’elle l’avait capturée!) je décide le
la baptiser… Ce sera Adène, en souvenir d’une Cyrène de mes amies qui, je
l’espère, lira peut-être ces lignes et saura ainsi que je suis toujours
nostalgique du château et de tous ses habitants…

Mais cela est une autre histoire!