Combien de fois devrais-je encore entendre cette gentille question pleine de sollicitude de que je ressens aussi comme un brin de condescendance de la bouche de ceux qui ont voyagé et profité de leur été avec une belle insouciance ?
J’ai passé cet été qui n’était pas vraiment beau, on est en Belgique quand même, c’est qu’il ne faudrait pas l’oublier. Je l’ai passé comme je passerai sans doute l’automne et l’hiver en attendant le printemps. Avec pour horizon une réservation solo pour une pièce de théâtre en avril.
Je l’ai passé en faisant passer le temps. Je suis passée au travers en me réveillant la plupart du temps avec un « putain fait chier », dit tout haut pour personne, tellement les cauchemars gluants collent à mes nuits et à mon éveil.
J’ai passé de beaux moments et profité de quelques brèves éclaircies en rendant visite à des gens que j’aime bien, furtives parenthèses bien accompagnée.
J’ai passé de bons moments en allant boire mes verres, généralement trois fois par semaine, avec, la plupart du temps, la chance d’être accompagnée d’une amie avec qui les sujets de conversation ne manquent jamais. C’est précieux!
J’ai passé l’été en allant me balader et parfois visiter l’un ou l’autre lieu de manière impromptue. Rares moments au présent où je ne suis pas en train de me regarder faire et vivre en me demandant « à quoi bon »?
J’ai passé l’été en pleurant, en cherchant un sens à ma présence et à la suite de ma vie, à me demander aussi si je vais réussir à passer au travers d’un filet d’absurdités et d’embûches que des institutions déconnectées de la réalité resserrent autour de nos gorges.
J’ai passé l’été à voir tomber comme des quilles de fausses démocraties africaines et à rire de la France qui s’étrangle de sa perte de prestige (et de revenus juteux).
J’ai passé l’été à entendre les deux pas en avant et trois en arrière dans un conflit à l’Est qu’on dit le nôtre et qui justifie l’emballement de la spéculation des actionnaires bien planqués dans leur anonymat.
J’ai passé l’été à entendre, dans l’indifférence générale, que des migrants (pas des êtres humains, des envahisseurs dont il faut se garder !) perdaient la vie en se noyant, en mourant de soif dans le désert où on les repoussait.
J’ai passé l’été, comme toutes les autres saisons, à prendre soin de mes chats et à constater tristement le vieillissement de certains menaçant leur éternel présent que j’espère heureux.
J’ai passé le temps de l’été à garder les chats de ceux qui, je l’espère, ont pu passer un beau morceau d’été, en versant une larme à chaque adieu, à l’an prochain, peut-être.
J’ai passé l’été à me demander pourquoi je n’avais pas de nouvelles de certains ou jamais d’invitation chez d’autres que j’aurais revus avec plaisir.
Mais je comprends bien qu’on préfère vite oublier quelqu’une qui ne dit pas: oui oui j’ai passé un bel été, comme réponse attendue à une question qui, finalement, n’en est pas vraiment une.
Ce n’est pas que je n’essaie pas la légèreté. Ce n’est pas que je ne tente pas de donner un sens à ma vie. Ce n’est pas comme si j’oscillais sans cesse entre tentatives de lâcher prise et regain de courage: « mais oui, ça va aller ».
Mais de grâce, ne me demandez plus si j’ai passé un bel été. Je l’ai passé, c’est tout. Et c’est déjà pas si mal.
2023