J’ai été voir un concert ce soir. J’imagine que, quand n’importe qui d’autre va voir un concert, il réserve sa place et attend avec impatience la date de l’événement. Le jour J il se prépare, se déplace jusque la salle, cherche son siège, s’installe et ensuite profite du show. Puis rentre à la maison, peut-être en ayant été manger un bout, ou boire un verre, satisfait de sa soirée.

Vous voulez savoir ce que c’est la version d’Annie? Je ne me qualifierai pas de ces mots à la mode H quelque chose, trop ceci ou pas assez cela. À dire vrai, qu’est-ce que ça change, en quoi ça aide les étiquettes? 

Ce que je vais décrire là vaut pour les concerts, les représentations théâtrales ou n’importe quel autre spectacle… cela vaut aussi pour tout acte sortant de ma routine. Imaginez ma tête quand ma psy m’a suggéré de retourner au cinéma… mais j’anticipe.

Je vais vous faire la version courte, l’accélérée, le teaser. Parce que la longue c’est ma vie, jour après jour, depuis toujours.

Il y a d’abord la décision d’aller ou non à ce concert. Le coup de cœur (comme ce fut le cas pour ce soir) ou le groupe aimé depuis toujours (voilà comment je n’ai jamais vu Bowie). Entrent en jeu la distance, les moyens pour s’y rendre (la voiture peut aider), la salle connue ou inconnue. Si cela nécessite d’aller au Centre Ville, c’est déjà mal parti, impossible hors transports en commun et souvent hors métro. Je n’y vais pas. Si la salle est inconnue: quelle est sa capacité, les places sont-elles fixes ou libres d’accès, comment sont disposés les couloirs et les sièges, est-ce qu’il reste des places près des sorties ou d’où s’extraire facilement? Si un point de fuite rapide ne se profile pas, je n’y vais pas.

Lorsque les conditions sont positives (comme ce soir: à proximité de la maison, petite salle que je ne connais pas mais dans un lieu déjà fréquenté et dont j’ai trouvé les plans), là je me pose la question du prix. Si c’est ok je réserve et… j’essaie de ne plus trop y penser. Parce que si j’y pense (et encore une fois je vous la fais courte!): c’est à x heures, trop tôt pour que je puisse souper avant, est-ce que je ne vais pas avoir trop faim et quoi prévoir de facile pour quand je rentre. Et à quelle heure j’y vais? Si c’est trop tôt, je vais devoir patienter probablement dans une certaine promiscuité avec mes « semblables », dans un endroit bruyant ou peu accueillant où je ne pourrai rien consommer à cause de mes allergies… (je vous épargne les 3000 autres considérations, entre santé, traitements des chats et météo).

À ce stade, rien que de vous en parler, je me sens déjà épuisée. Imaginez si vous le viviez.

Arrive le jour J. Plus que jamais se pose la question: j’y vais ou j’y vais pas? Est-ce que je fais bien? Est-ce que j’ai le droit d’aller m’amuser ou même de me distraire alors que j’étais en larmes tout à l’heure en parlant à la vétérinaire au téléphone. Est-ce que je vais arriver à y aller (mes intestins ne vont-ils pas me pourrir la vie – évidemment qu’ils le font juste avant le départ!)?

Je me mets en route, à pieds… est-ce que je vais pourvoir faire le trajet tranquillement ? Oui j’ai pu le faire.

Arrivée sur place, il y a du monde quand même, savoir où est l’entrée de la salle, attendre dans un endroit proche mais dos à un mur, avec vue sur la sortie et pas trop en promiscuité humaine. Descendre assez rapidement et me précipiter sur la place juste à côté de la porte. Récapituler le plan des lieux vers la sortie. Attendre, voir défiler tous les gens qui tentent de trouver leur place. Commencer à avoir des vertiges, le sentiment d’étouffer, sentir la panique monter. 

La foule est rentrée, la porte juste à côté de moi se referme et je me vide de mon sang. Je vais tomber dans les pommes, c’est pas possible autrement.  Fixer mon attention sur des détails, une latte du sol, tiens BJ est déjà là, elle a l’air sympa! Enfoncer mes ongles dans ma main, tordre mon foulard, essayer de me concentrer sur d’autres sensations corporelles que le vertige. Ne pas me laisser complètement submerger.

Le concert commence, aller retour entre intérêt et malaise. Dans le meilleur des cas je me fais happer et j’oublie un peu le reste. C’est plus facile au théâtre qu’au concert. Parce que la musique, que je n’écoute quasi plus à cause de ça, ça provoque des sentiments. Et les sentiments chez moi c’est l’artillerie lourde, ça m’étouffe, ça m’étrangle, ça sort en gros sanglots, à gros bouillons, ça me fait ravaler ma morve pour ne pas me moucher et essuyer mes yeux avec mon foulard (indispensable le foulard), ça me fait me recroqueviller sur mon fauteuil pour pas gêner ma voisine de gauche, pour pas risquer de la distraire ou, pire, de la contaminer ! Les sentiments parasites s’invitent alors, blessures, ruptures et deuils impossibles. Les images se superposent, mais quand est-ce que je vais atterrir? 

Et c’est comme ça une heure et demi durant. Des hauts trop hauts, des bas en forme de panique et d’envies de fuite… et quelques moments juste vécus, juste magiques qui à eux seuls vont justifier que j’aie subi tout le reste. Tout ce qui fait mon quotidien d’Annie que je ne sais comment qualifier, sinon que j’aimerais tellement que tout soit tellement plus simple. Au point de penser, souvent, à le simplifier, une fois pour toute…